AVEC «L’EXTRAORDINAIRE VOYAGE DE MARONA», ANCA DAMIAN COMPOSE UNE MÉLODIE DU BONHEUR À HAUTEUR DE CHIEN

La source: Le Monde (extrait)
Publié: 8 janvier 2020

Un conte moderne d’une grande poésie et plein d’inventions visuelles, qui invite à chérir l’amour tant qu’il dure.

Bien que sombre à ses heures, la vie de chien que conte Anca Damian dans L’Extraordinaire Voyage de Marona n’a rien de comparable avec les histoires (humainement) dramatiques de ses films d’animation précédents, Le Voyage de Monsieur Crulic (2012) et La Montagne magique (2015). Il est néanmoins un point commun qui unit ces trois longs-métrages : l’irréfutable talent de la cinéaste roumaine à disposer de son imaginaire pour instruire le réel, l’augmenter de traits de génie capables d’en révéler la richesse et la somptueuse complexité. Les mondes que donne à voir Anca Damian nous sont proches, connus. Elle les rend fascinants, par le mélange du dessin animé (2D et 3D) et du papier collé, la réunion de divers univers artistiques (fauvisme, cubisme, expressionnisme), la juxtaposition des matières.

L’Extraordinaire Voyage de Marona ouvre un champ visuel qui éveille tous les sens. A hauteur d’un animal dont le regard, la truffe en cœur, les oreilles ailées nous dirigent : une petite chienne que l’on découvre, au début du film, écrasée sur le bitume, au milieu des voitures. Elle reprend vie, au cours d’un long flash-back qui ressuscite ses souvenirs et ses plus belles rencontres. Peu de temps après sa naissance, séparée de sa famille, elle est d’abord vendue à Manole, un acrobate qui lui attribue le nom d’Ana. L’existence devient alors douce et fantaisiste, souple comme ce maître au corps élastique qui l’enroule dans ses bras. Mais le bonheur n’a qu’un temps. Manole se voit proposer un contrat dans un cirque qui n’accepte pas les chiens. Plutôt que de priver l’acrobate de cette opportunité, Ana préfère s’enfuir.

Univers singuliers

Un autre protecteur se présentera, Istvan l’ingénieur en bâtiment qui choisira de l’appeler Sara. Hélas, sous ce nouveau toit, l’amour retrouvé ne résistera pas à la violence de la mère d’Istvan et les caprices de son épouse. Après une nouvelle errance viendra une autre adoption, grâce à Solange, une gamine dont la famille recueillera bon an mal an la créature à poils. Laquelle, rebaptisée cette fois (et définitivement) Marona, gagnera sa place auprès de chacun, non sans mal et quelques vilaines péripéties. Ce foyer sera le dernier.

A chaque maison correspond un âge de la vie (l’enfance, l’adolescence, la maturité), un stade d’apprentissage (l’éveil, l’expérience, la sagesse) et un style graphique propre. Chacun se déployant selon les instruments mis en œuvre par les trois artistes qui les ont orchestrés : l’auteur de bande dessinée belge Brecht Evens, chargé du visuel et de la création des personnages ; la Norvégienne Gina Thorstensen et l’Italienne Sarah Mazzetti, responsables des décors ; le compositeur français Pablo Pico. Leurs univers singuliers nourrissent le film dont l’unité tient au rappel des couleurs, à la cohérence des formes et à la fluidité du mouvement. Mélodie d’un bonheur qu’il faut saisir dans l’instant, conte de fées moderne sur l’amour qu’il faut chérir, L’Extraordinaire Voyage de Marona nous en met plein la vue, pas tant pour nous épater que nous forcer à ouvrir grands les yeux sur les règles simples, fondamentales, de l’existence.