UNE AMITIÉ QUI A DU CHIEN

La source: ledevoir.com (extrait)
Publié: 27 décembre 2019

Les infatigables chiens de traîneau auxquels les Inuits d’aujourd’hui font appel pour se déplacer et chasser à travers les conditions hostiles de l’Arctique canadien et du Groenland sont les descendants directs des chiens amenés de Sibérie par les premiers immigrants inuits ayant pris pied en Alaska, il y a 2000 ans. Ces chiens dotés d’une force et d’une endurance extraordinaires auraient permis aux Inuits de conquérir l’Arctique et le Groenland, et d’y prospérer jusqu’à nos jours.

On savait que les immigrants inuits, ancêtres des Inuits actuels, ont été les premiers à introduire en Amérique la « technique » des chiens de traîneau comme moyen de transport, mais la question de savoir s’ils avaient adopté et dressé des chiens déjà présents dans le nord de l’Amérique ou s’ils avaient introduit une nouvelle population de chiens dans la région demeurait sans réponse.

Pour résoudre cette énigme, les chercheurs ont étudié l’ADN et la morphologie d’ossements appartenant à 922 chiens et loups ayant vécu dans le nord de l’Amérique au cours des 4500 dernières années. Ces vestiges qui comprenaient aussi des dents et des peaux transformées en manteaux dont on a extrait de l’ADN ont été recueillis sur divers sites archéologiques du nord de l’Amérique, d’Islande, du Groenland et de l’est de la Sibérie, ainsi que des musées d’histoire naturelle du Danemark et d’Alaska.

Des études génétiques publiées en 2018 avaient déjà indiqué que les tout premiers chiens à avoir vécu dans les Amériques appartenaient à une lignée disparue qui avait été introduite d’Eurasie il y a plus de 10 000 ans. Mais à la suite de ce peuplement initial, l’Arctique nord-américain a connu subséquemment d’autres épisodes d’immigration de populations humaines vraisemblablement accompagnées de chiens.

Dans une nouvelle étude qui vient de paraître dans The Proceedings of the Royal Society, des chercheurs de diverses universités du Royaume-Uni, du Danemark, de Norvège et des États-Unis notamment, ont découvert que les chiens exhumés de sites inuits situés en Alaska et datant de 2000 ans possédaient une morphologie et une signature génétique différentes de celles des chiens, dénommés paléo-inuits, introduits dans le nord de l’Amérique du Nord, il y a entre 5500 et 4500 ans, par une population antérieure et distincte.

L’étude morphologique des ossements et des dents retrouvés a montré que le crâne des chiens inuits était plus étroit avec une boîte crânienne moins élevée que celui des chiens paléo-inuits. De plus, leur première molaire inférieure était plus large et la branche ascendante de leur mandibule était plus développée. Par contre, la forme du crâne des chiens inuits était très similaire à celle des chiens actuels de l’Arctique et du Groenland.

L’analyse de l’ADN mitochondrial des différents spécimens a pour sa part révélé que le génome des chiens datant de l’immigration inuit différait manifestement de celui des chiens paléo-inuits, au point où il est évident qu’il s’agit de populations de chiens distinctes. « Leurs signatures génétiques différentes signifient que les Inuits étaient accompagnés de leurs propres chiens quand ils sont arrivés en Amérique et qu’ils n’ont pas adopté ceux qui étaient déjà présents sur place », affirme l’archéologue Tatiana Feuerborn qui complète un doctorat au Centre for GeoGenetics de l’Université de Copenhague et au département de bioinformatique et génétique du Musée suédois d’histoire naturelle de Stockholm.

Des analyses génétiques de chiens de Sibérie ont également montré que les chiens que les Inuits ont introduits d’abord en Alaska, il y a 2000 ans, puis en Arctique et au Groenland, 1000 ans plus tard, provenaient bel et bien de Sibérie, comme leurs propriétaires.

Les chercheurs ont également pu voir que les chiens indigènes de l’Arctique nord-américain, soit les inuits canadiens actuels (aussi appelés esquimaux canadiens) et les chiens de traîneau du Groenland d’aujourd’hui, sont clairement des descendants des chiens amenés par les Inuits, il y a 2000 ans.

En analysant l’ADN mitochondrial de spécimens plus récents datant des trois cents dernières années, les chercheurs de l’étude ont pu constater que les chiens inuits se sont probablement croisés avec des races européennes quand des Européens explorèrent le Groenland et l’Arctique canadien au cours du XIXe et du XXe siècle, ainsi que lors de la ruée vers l’or en Alaska.

« Les tout premiers chiens qui ont vécu en Amérique et qui sont les ancêtres des chiens que l’on trouve aujourd’hui à travers l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud sont génétiquement distincts des chiens paléo-inuits, lesquels sont aussi différents des chiens inuits. Cela nous démontre qu’à chaque fois que des populations humaines ont migré de Sibérie vers l’Amérique, elles ont amené avec elles leurs propres chiens », résume Mme Feuerborn, avant d’ajouter que les chiens paléo-inuits se sont vraisemblablement éteints, car nous n’avons rien trouvé qui nous indiquerait qu’ils auraient survécu. »

Traîneau à chiens

Les fouilles archéologiques ont montré qu’avant l’arrivée des Inuits, il y a 2000 ans, le traîneau à chiens était plutôt rare en Amérique du Nord. Or, de par leurs qualités particulières leur permettant non seulement de résister aux rigueurs de l’hiver polaire, mais aussi de tirer de lourdes charges sur de longues distances, les chiens que les Inuits ont amenés avec eux en Amérique ont aidé ces derniers à prospérer en facilitant notamment le transport et la chasse.

« Ces chiens étaient plus que des compagnons, ils étaient carrément des “outils” qui ont permis aux Inuits de voyager rapidement de Sibérie jusqu’en Alaska, puis 1000 ans après leur arrivée, de poursuivre leur expansion vers l’est, colonisant ainsi l’Arctique canadien et le Groenland. Ces chiens ont joué un rôle crucial dans le succès et la survie du peuple inuit dans l’Arctique », souligne Tatiana Feuerborn.

« Ces chiens qui sont capables de travailler fort dans des environnements extrêmes jouent encore aujourd’hui un rôle incontournable dans la vie de ce peuple », poursuit-elle. Mais « leur nombre décline rapidement en raison du réchauffement climatique, de la réapparition d’un virus qui attaque les chiots, du recours préférentiel à la motoneige et de l’abattage des chiens indigènes à certaines époques », écrivent les auteurs de l’article.